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Addiction ou jeux excessifs

Par le MédecinGeek
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Depuis leur démocratisation, les jeux vidéo se sont imposés comme une activité récréative touchant toutes les catégories sociales et démographiques et il est désormais admis que la plupart des joueurs ont une relation saine et contrôlée avec les jeux vidéo. Cependant, une minorité de joueurs développe une pratique qui devient compulsive et envahissante, au détriment des autres sphères de la vie (relationnelle, professionnelle ou scolaire, sociale). Cette situation peut alors être assimilée à une forme de dépendance, bien que la reconnaissance scientifique de l’addiction aux jeux vidéo reste sujette à débat. L’enjeu central réside donc dans la distinction entre une passion maîtrisée et une usage caractérisé par une perte de contrôle.

Depuis quand parle-t-on d’addiction aux jeux vidéo ?

L’idée d’une addiction aux jeux vidéo émerge dans les années 1980, en parallèle de l’essor des bornes d’arcade. Mais c’est surtout dans les années 2000, avec le développement des jeux en ligne massivement multijoueurs (MMORPG) et des jeux sur mobile, que la question devient un véritable sujet de recherche et d’inquiétude clinique
En 2013, l’American Psychiatric Association (APA) introduit le terme d’“Internet Gaming Disorder” dans l’annexe du 5ᵉ édition du Manuel Diagnostique et Statistique des troubles mentaux (DSM-5), sans le reconnaître comme un trouble officiel.
Ce pas est franchi en 2018 par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), qui inscrit le “Gaming Disorder” dans la 11e Classification Internationale des Maladies (CIM-11), reconnaissant ainsi officiellement ce trouble qui est défini comme une pratique de jeu vidéo caractérisée par un manque de contrôle sur le temps de jeu, une priorité donnée au jeu sur d’autres activités essentielles et une persistance du comportement malgré des conséquences négatives.

*DSM-5 est une classification officielle des troubles mentaux qui sert de référence essentiellement aux États-Unis, pour les professionnels de santé afin de définir, diagnostiquer et coder les pathologies psychiatriques selon des critères précis et standardisés.
**CIM-11 est une classification mondiale qui est utilisée pour diagnostiquer et classifier toutes les maladies, pas seulement psychiatriques.

Une reconnaissance qui ne fait pas l’unanimité

La reconnaissance officielle du “Gaming Disorder” ne fait cependant pas l’unanimité : certains professionnels y voient une forme de surpathologisation d’un loisir, tandis que d’autres considèrent ce trouble comme une réalité clinique manifeste.
Il est important de bien comprendre ce que recouvre la reconnaissance du “Gaming Disorder” par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS). En français, ce terme est traduit par “trouble du jeu vidéo”. Il ne s’agit donc pas officiellement d’une “addiction aux jeux vidéo” et encore moins d’une “addiction aux écrans” au sens large.
– L’OMS décrit un trouble spécifique, centré sur l’usage excessif des jeux vidéo, qui peut évoluer vers une addiction uniquement dans certaines conditions précises : lorsque cette pratique entraîne un isolement social, une perte d’intérêt pour d’autres activités, et ce de manière persistante pendant au moins douze mois.
– C’est dans ce contexte que l’Académie de Médecine a souligné qu’il n’existe pas de consensus scientifique pour qualifier l’excès de jeu vidéo comme une addiction avérée. Elle recommande d’utiliser le terme de “pratique excessive”, moins stigmatisant.
– C’est pour cette raison que la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (MILDECA) préfère, au sens large, l’expression « d’usage problématique » ou « pratique excessive ».

Si l’addiction apparaît, elle est dite comportementale

Contrairement aux addictions à l’alcool, au tabac ou aux drogues, qui impliquent un sevrage physique avec des symptômes comme le délirium tremens (alcool) ou le syndrome de manque (opiacés, nicotine), l’addiction aux jeux vidéo est une addiction comportementale. Cela signifie que les mécanismes sous-jacents reposent davantage sur les circuits de la récompense et la dépendance psychologique que sur une dépendance biologique directe.

Deux grandes différences doivent être retenues :
Pas de syndrome de sevrage physiologique : un enfant privé de son smartphone ou de sa console ne développera pas de symptômes physiques graves. Il pourra être frustré ou en colère (sevrage psychologique), mais il ne nécessitera pas d’intervention médicale urgente.
Pas de risque de rechute à long terme : contrairement aux addictions aux substances, les troubles liés au jeu vidéo ne s’accompagnent pas d’un risque de rechute chronique. De nombreux adolescents très investis dans le jeu vidéo à une époque deviennent par la suite des adultes équilibrés, avec un métier, une vie sociale et une pratique occasionnelle du jeu.

CritèresTrouble du jeu vidéo pouvant évoluer vers une addictionAddiction aux substances (alcool, drogues, tabac)
SevragePsychologique : frustration, anxiété, irritabilitéPhysique et psychologique : tremblements, sueurs, douleurs, Craving intense
Mécanisme dopaminergiqueActivation du circuit de la récompense via le jeu (succès, progression, compétition)Activation du circuit de la récompense via une substance externe (cocaïne, nicotine, alcool)
Impact sur la vie quotidienneIsolement social, baisse des performances scolaires et/ou professionnelles, troubles du sommeilDégradation de la santé physique et mentale, isolement, comportements à risque
Facteurs de vulnérabilitéStress, anxiété, troubles psychiatriques, environnement familialFacteurs génétiques, troubles psychiatriques, accès aux substances
Tableau simplifié comparant addiction aux jeux vidéo versus addiction aux substances

Un circuit de la récompense responsable

Les addictions comportementales (jeux vidéo, jeux d’argent, réseaux sociaux) partagent des mécanismes neurobiologiques similaires aux addictions aux substances. L’élément clé est la dopamine, un neurotransmetteur essentiel dans le circuit de la récompense. Ce circuit de la récompense, situé principalement dans le système limbique, est une voie neuronale qui renforce les comportements bénéfiques à la survie (manger, se reproduire, interagir socialement). Ce circuit implique plusieurs structures cérébrales majeures : L’aire tegmentale ventrale qui libère la dopamine en réponse à un stimulus gratifiant, le noyau accumbens qui interprète cette libération de dopamine comme une “récompense” et pousse à la répétition du comportement et le cortex préfrontal qui contrôle l’impulsivité et la prise de décision, mais peut être inhibé en cas d’addiction.
>> Pour tout comprendre une vidéo ci-dessous sur le site de la MILDECA

@Film réalisé par Aubrey Mc Kenzie, avec le soutien financier de la MILDECA

Les jeux vidéo détournent le circuit de la récompense...

Les jeux vidéo sont conçus pour stimuler le circuit de la récompense, via quatre mécanismes addictifs que nous pouvons détailler :

-> Les systèmes de gratification :
Les récompenses immédiates et imprévisibles (système de gratification variable) que l’on appelle les « Dark Patterns« , sont des mécanismes visant à prolonger artificiellement l’expérience de jeu et à inciter à la dépense. Ces récompenses quotidiennes, conditionnent le joueur à se connecter régulièrement. Ainsi certains jeux vidéo proposent des microtransactions, qui permettent de progresser plus rapidement moyennant un coût financier ou jeux utilisent des récompenses aléatoires (voir l’article spécifique sur les lootboxes). Ces mécanismes maximisent ainsi la sécrétion de dopamine et crée un conditionnement fort.

-> La progression constante :
Les MMORPG et les jeux compétitifs offrent une progression continue (montée en niveaux, quêtes, classements). Chaque petite victoire active le circuit de la récompense, renforçant l’envie de continuer à jouer. Ainsi les jeux sans fin, tels que World of Warcraft® ou Fortnite®, suppriment toute notion de conclusion et encouragent la continuité du jeu.

-> La perte de la notion du temps :
Certains jeux créent un état de “flow”, où le joueur est totalement absorbé. Cet état est renforcé par des mécaniques de jeu engageantes (quêtes en chaîne, modes multijoueurs sans pause). Le joueur ne voit pas le temps passer et joue bien au-delà de ses intentions initiales. « On y entre pour quelques minutes, on en sort deux heures plus tard.« 

-> La composante sociale et le besoin d’appartenance :
Les jeux en ligne permettent d’intégrer une communauté, ce qui peut être particulièrement attractif pour les jeunes ou les personnes isolées socialement. ainsi, se déconnecter du jeu peut être ressenti comme une exclusion sociale, renforçant l’envie de rester connecté.

Pourquoi certaines personnes sont-elles en difficulté.

Tout le monde ne développe pas un usage excessif aux jeux vidéo.  Les études montrent que seule une minorité de joueurs (1 à 5 %) présente un usage problématique qui impacte négativement leur vie quotidienne. Par ailleurs, les jeunes considérés comme « dépendants » sont souvent confrontés à d’autres troubles sous-jacents : phobie sociale, anxiété, dépression ou isolement. Ainsi, il convient de distinguer une véritable addiction d’un usage prolongé motivé par des facteurs externes ou psychologiques.

Plusieurs facteurs de risques sont identifiés.

Des facteurs neurobiologiques : Un déséquilibre dans le circuit dopaminergique comme une hypersensibilité à la récompense peut rendre certaines personnes plus susceptibles à l’addiction.
Des facteurs psychologiques et psychiatriques : Une personnalité moins sociable et une plus grande impulsivité semblent être des facteurs de risque de devenir un joueur excessif. Pour certaines études, l’existence de troubles anxieux, dépressifs augmentant le risque d’usage compulsif du jeu vidéo tandis que d’autres études considèrent que la dépression, l’anxiété, les phobies sociales semblent être plutôt les conséquences du jeu pathologique au même plan que de moins bons résultats scolaires
Des facteurs sociaux et environnementaux : Les études montrent que l’addiction aux jeux vidéo concerne principalement les jeunes hommes, et plus particulièrement les joueurs de MMORPG (jeux de rôle en ligne massivement multijoueurs).
– Une absence de régulation parentale chez les jeunes est un facteur qui est mis en évidence régulièrement. un isolement social, peut faire du jeu vidéo une échappatoire…


Références :

  • American Psychiatric Association. Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders (DSM-5). 5ᵉ éd. Washington, DC: APA. 2013.
    >>> Lien
  • World Health Organization. International Classification of Diseases 11th Revision (ICD-11). Genève: OMS. 2019.
    >>> Lien
  • Le Heuzey MF, Mouren MC. Addiction aux jeux vidéo : des enfants à risque ou un risque pour tous les enfants ? Bulletin de l’Académie Nationale de Médecine. 2012;196:15-26.
    >>> Lien
  • Observatoire français des drogues et des toxicomanies, Écrans et jeux vidéo à l’adolescence, n°97, 2014
    >>> Lien
  • Jeux vidéo : violence et addiction ? Lyonnet L, Stora M. Fondapol. 18 décembre 2024
    >>> Lien
  • Que nous dit la science des addictions ? Mission interministérielle de lutte contre la drogue et les conduites addictives (MILDECA)
    >>> Lien
  • Weinstein A, Lejoyeux M. Neurobiological mechanisms underlying internet gaming disorder
. Dialogues in Clinical Neuroscience. 2020;22(2), 113–126.
    >>> Lien
  • Gentile DA, Choo H, Liau A, et al. Pathological video game use among youths: a two-year longitudinal study. Pediatrics. 2011;127(2):e319-29
    >>> Lien
  • Ko CH, Yen JY, Chen CC, Chen SH, Yen CF. Gender differences and related factors affecting online gaming addiction among Taiwanese adolescents. J Nerv Ment Dis. 2005;193(4):273-7.
    >>> Lien

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