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Schedule : Enfin un tutoriel pour devenir narcotrafiquant

Par le MédecinGeek

Un jeu vidéo inédit a vu le jour en mars 2025 : Schedule I®. Ce jeu, qui a déjà conquis plus de 414 000 joueurs simultanés et dominé les ventes sur Steam® pendant plus de deux semaines, propose aux joueurs de plonger dans un univers controversé : la gestion d’un empire de la drogue. Classé PEGI 18, Schedule I est vendu au prix de 19,50 € et a suscité de nombreuses discussions depuis son lancement. Mais que fait-on réellement dans ce jeu ?

Un gameplay immersif et controversé

Dans Schedule I®, les joueurs endossent le rôle d’un baron de la drogue, prenant des décisions stratégiques pour faire prospérer leur empire. Ils peuvent choisir d’inonder le marché avec des substances plus ou moins dangereuses, collaborer avec d’autres joueurs ou entrer en conflit avec eux dans un monde persistant. Le tout avec un style graphique simpliste, coloré, presque enfantin. Ce choix est loin d’être anodin : il crée un décalage saisissant entre le fond (trafic de drogue, stratégies amorales, prises de risque) et la forme (esthétique douce et ludique).

Ce contraste n’est pas sans rappeler la franchise GTA® (Grand Theft Auto®), souvent citée dans les débats sur les représentations de la violence. Mais GTA® assume un univers visuel réaliste, brut, inspiré de faits sociaux contemporains. Le joueur sait qu’il entre dans une fiction cynique, souvent caricaturale. Schedule I®, au contraire, utilise des codes visuels plus doux, presque enfantins, tout en plongeant le joueur dans des choix moraux lourds de conséquences. Et c’est justement ce paradoxe qui rend le jeu si troublant.

Dissonance cognitive : quand le cerveau freine en plein jeu

La dissonance cognitive est un concept clé en psychologie, défini par Leon Festinger en 1957. Elle décrit le malaise que l’on ressent quand nos pensées, nos actions ou nos valeurs entrent en contradiction. C’est ce petit « bug mental » qui survient, par exemple, Quand on veut manger équilibré… mais qu’on termine le pot de glace devant Netflix.

Dans les jeux vidéo, cette dissonance peut apparaître quand ce que le joueur croit ou veut faire ne correspond pas à ce que le jeu lui impose. L’article éclairant de JC Pass, « La dissonance cognitive dans la conception des personnages et des environnements de jeux vidéo » (2025), explore précisément ce phénomène. Il montre comment des écarts entre les attentes du joueur et les comportements imposés par le jeu peuvent créer un sentiment d’inconfort.

Prenons un exemple : le joueur veut construire un empire éthique (ou du moins « moins destructeur ») en vendant des substances moins addictives. Mais le jeu, pour progresser, lui impose d’accepter des contrats impliquant des drogues plus dangereuses, des partenariats violents, voire des morts. S’ajoute à cela une esthétique visuelle qui ne reflète pas la gravité des actes : tout est lisse, coloré, presque ludique. Le joueur ressent alors une tension entre l’action qu’il réalise (planifier un trafic destructeur) et l’ambiance visuelle (qui rappelle Animal Crossing® plus que Narcos®).

Ce décalage peut avoir plusieurs effets :

Certains joueurs vont prendre du recul, réfléchir à leurs choix, et se sentir critiques face à leurs propres décisions. D’autres peuvent trivialiser l’ensemble : « Ce n’est qu’un jeu, tout est cartoon, ce n’est pas grave. ». Mais une minorité pourrait être fascinée par cette esthétique du mal camouflé sous des paillettes. D’un point de vue addictologique, ce mélange entre thème grave et ambiance légère mérite qu’on s’y attarde. Car en fonction de la sensibilité du joueur, de son histoire personnelle, de son âge ou de sa vulnérabilité, les effets peuvent être très différents. La dissonance cognitive peut être un moteur de réflexion… ou un biais de banalisation.

Schedule I : quand l’innocence visuelle masque la noirceur morale

Ce qui fait la force de Schedule I®, c’est qu’il propose plus qu’un simple divertissement. Il questionne notre rapport aux choix, au pouvoir, à la responsabilité. Mais il le fait en jouant avec les codes visuels du jeu innocent, ce qui ajoute un degré de complexité moral. Cette dissonance cognitive peut être un outil narratif puissant. Des jeux comme Spec Ops: The Line® ou Undertale® ont déjà utilisé ce principe pour déstabiliser le joueur et l’obliger à réfléchir à ses actes. Schedule I® ne va peut-être pas aussi loin dans la responsabilisation, mais il provoque néanmoins une réaction : fascination, malaise, rire jaune, détachement… tout dépend de qui tient la manette.

Conclusion : entre immersion, introspection… et risques potentiels

Schedule I® ne laisse personne indifférent. Son succès montre qu’un jeu peut traiter de thèmes très sensibles sans tomber dans la caricature. Mais il le fait avec une esthétique volontairement trompeuse, presque candide, qui brouille les repères. C’est précisément cette ambiguïté – entre légèreté visuelle et gravité du propos – qui en fait une œuvre à la fois ludique, dérangeante et digne d’analyse. Est-ce juste un jeu où l’on grimpe les échelons d’un empire criminel ? Une critique déguisée de notre société ? Ou une manière détournée de parler du pouvoir et de l’attrait de l’argent facile ? Peut-être un peu tout ça à la fois. Et c’est justement pour cela qu’il ne suffit pas d’y jouer : il faut aussi en parler, pour mieux en comprendre le sens et les effets possibles.

Mais cette richesse ne doit pas occulter un point important : certains joueurs plus jeunes, vulnérables ou en recherche de repères peuvent ne pas percevoir l’ironie ou la distance critique du jeu. Ils peuvent s’identifier au pouvoir offert par l’univers du jeu, sans en mesurer les ressorts satiriques ou les conséquences morales. Ce n’est pas le jeu qui rend violent ou déviant, mais le jeu peut parfois valider, inconsciemment, des comportements ou des croyances qui mériteraient d’être interrogés. D’où l’importance de l’accompagnement, du dialogue, et de l’éducation au jeu vidéo, en famille comme en milieu scolaire.


Références :

  • Schedule 1 Is The BEST Game Of 2025
    >>> Lien
  • Festinger L. A theory of cognitive dissonance. Stanford University Press. 1957
    >>> Lien
  • Pass JC. Cognitive Dissonance in Video Game Character Design and Enviromental Factors. Simply Put Psych. 5 Février 2025
    >>> Lien

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