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L’addiction aux jeux vidéo n’existerait pas ?

Par le MédecinGeek

Analyse d’une étude particulièrement intéressante menée par Weinstein et al. (2017) sur le trouble du jeu vidéo sur Internet (Internet Gaming Disorder, IGD) ou plus généralement sur l’usage problématique des jeux vidéo en ligne. L’Association Américaine de Psychiatrie (APA), qui regroupe des spécialistes de la santé mentale aux États-Unis, a mis en évidence que certains joueurs ont une relation excessive avec les jeux vidéo en ligne, au point que cela peut poser des problèmes dans leur vie quotidienne (sommeil, travail, relations sociales…), mais sans officiellement classer cet usage problématique comme une vraie maladie, alors que l’OMS l’a classé comme une maladie mentale au sein de la CIM-11. L’APA a demander donc la réalisation d’études complémentaires afin de savoir si le jeu vidéo en ligne peut réellement devenir un trouble psychiatrique et c’est cette étude qui se propose de répondre à cette question.

Contexte de l’étude

L’objectif de cette étude était donc de mieux comprendre l’usage problématique des jeux vidéo en ligne dans le temps, ses relations avec la santé mentale et physique et le rôle des besoins psychologiques fondamentaux dans cette dynamique qui sont :

  • 1. L’autonomie (se sentir libre dans ses choix),
  • 2. La compétence (avoir un sentiment d’efficacité),
  • 3. La relation sociale (se sentir connecté aux autres).

L’équipe de recherche s’est appuyée sur la théorie de l’autodétermination (Self-Determination Theory, SDT), qui postule que ces trois besoins psychologiques fondamentaux sont essentiels au bien-être.

Méthodologie

Les chercheurs ont suivi 5 777 adultes américains sur une période de six mois. Ces participants ont été recrutés via YouGov, un panel représentatif de la population américaine.

Les mesures utilisées :

  • Internet Gaming Disorder (IGD) : Évalué par une liste de 9 critères (par exemple, perte de contrôle, anxiété en l’absence de jeu, impact négatif sur la vie sociale).
  • Satisfaction des besoins psychologiques : Évaluée via un questionnaire sur l’autonomie, la compétence et la relation sociale.
  • Santé mentale et physique : Auto-évaluation sur une échelle allant de “mauvaise” à “excellente”.
  • Activité physique et sociale : Mesurée par la fréquence de participation à ces activités.

Il est à noter que dans cette étude qui date de 2017, Le questionnaire utilisé dans l’étude avait été conçu en consultation avec des psychologues cliniciens et chercheurs spécialisés dans les jeux vidéo et les addictions comportementales. Il comprennait 9 critères du DSM-5, sous forme de questions et avait déjà été utilisé dans des études antérieures par Przybylski et al. (2016, 2017). Il ne s’agissait pas de l’IGDS9-SF (Pontes & Griffiths, 2015) qui est un questionnaire spécifiquement validé en tant qu’outil de mesure de l’usage problématique des jeux vidéo en ligne et qui suit aussi les 9 critères du DSM-5, mais sous une forme plus standardisée et utilisée dans de nombreuses études internationales.

Résultats principaux

L’étude menée sur le trouble du jeu vidéo en ligne apporte des éléments nuançant l’hypothèse d’une addiction strictement comparable à celles observées dans les troubles liés aux substances. Les résultats indiquent que les critères définissant ce trouble présentent une stabilité modérée sur une période de six mois, mais qu’aucun des participants initialement classés comme atteints d’un usage pathologique ne remplissait encore ces critères à la fin de l’étude. Cette observation suggère que le phénomène est transitoire et ne s’inscrit pas nécessairement dans une dynamique chronique.

Par ailleurs, aucune corrélation directe entre le trouble du jeu vidéo en ligne et un déclin de la santé physique ou mentale n’a été mise en évidence. Toutefois, une relation indirecte a été identifiée : les individus présentant des symptômes de jeu excessif rapportaient une diminution de la satisfaction de leurs besoins psychologiques fondamentaux, tels que le sentiment d’autonomie, de compétence et de connexion sociale. Cette altération du bien-être psychologique pourrait constituer un facteur expliquant certaines difficultés de régulation du comportement de jeu. À l’inverse, les résultats montrent que la satisfaction de ces besoins agit comme un facteur protecteur, en favorisant une meilleure santé globale et en réduisant le risque de développer un usage problématique des jeux vidéo.

Enfin, l’étude ne valide pas l’idée selon laquelle une pratique excessive des jeux vidéo entraînerait une diminution systématique des interactions sociales ou des activités physiques. Aucune donnée ne permet d’affirmer que les joueurs intensifs s’isolent davantage ou abandonnent leur engagement dans des pratiques sportives. L’ensemble de ces résultats conduit les auteurs à considérer le trouble du jeu vidéo en ligne comme un phénomène d’autorégulation défaillante plutôt qu’un trouble addictif strict. Plutôt que de l’assimiler aux dépendances aux substances, il conviendrait d’adopter une approche prenant en compte les facteurs motivationnels et contextuels, en s’intéressant notamment à la satisfaction des besoins psychologiques et à leur rôle dans la dynamique du comportement de jeu.

Conclusion

Cette étude montre que le problème du jeu vidéo excessif sur Internet n’est pas une addiction au sens classique, comme une dépendance à l’alcool ou à la drogue. Très peu de joueurs restent concernés sur le long terme, et ceux qui rencontrent des difficultés finissent souvent par retrouver un équilibre après quelques mois. L’étude explique que ce problème n’est pas uniquement lié au jeu lui-même, mais plutôt à des besoins psychologiques non satisfaits. Par exemple, si une personne manque de liens sociaux, d’un sentiment de compétence ou de contrôle sur sa vie, elle risque davantage de se réfugier dans les jeux vidéo.
Contrairement à certaines idées reçues, les chercheurs n’ont pas trouvé de preuve que jouer trop nuit directement à la santé. Mais un usage excessif peut indirectement affecter le bien-être, en éloignant d’autres activités importantes pour l’équilibre personnel.

Ce qu’il faut retenir :
– Jouer beaucoup ne signifie pas forcément être « accro ».
– Ce n’est pas tant le jeu qui pose problème, mais ce qu’il peut remplacer dans la vie d’une personne.
– Plutôt que d’interdire ou de diaboliser les jeux vidéo, il faut aider les joueurs en difficulté à retrouver un équilibre dans leur quotidien.


Références :

Weinstein N, Przybylski AK, Murayama K. A prospective study of the motivational and health dynamics of Internet Gaming Disorder. PeerJ. 2017;29:5:e3838.
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