Depuis le 5 juillet 2025, une mesure attendue de longue date vient d’entrer en vigueur : l’interdiction des écrans dans les crèches et établissements accueillant des enfants de moins de trois ans. Cette décision, appuyée par les données scientifiques et les recommandations d’experts, marque un tournant dans la prise de conscience des effets des écrans sur le développement des tout-petits. Mais au-delà de l’annonce, une question subsiste : cette mesure sera-t-elle réellement applicable ? Et suffira-t-elle à protéger les enfants, y compris en dehors des structures d’accueil ? Tentons d’y voir plus clair.

Le 5 juillet 2025, un arrêté publié au Journal Officiel interdit l’usage des écrans dans les établissements d’accueil collectif pour les enfants de moins de trois ans. Crèches, micro-crèches, haltes-garderies : tous les professionnels du secteur sont désormais concernés. Cette mesure, saluée par de nombreux spécialistes de la petite enfance, représente une avancée significative dans la protection du développement cognitif et émotionnel des tout-petits.
Jusqu’à présent, la recommandation figurait dans le référentiel national sous une forme prudente :
« Il n’est pas recommandé de laisser un enfant de moins de trois ans devant un écran (smartphone, tablette, ordinateur, télévision) compte tenu des risques pour son développement. »
Depuis l’arrêté du 5 juillet 2025, cette phrase a été remplacée par une formulation bien plus claire et contraignante :
« Il est interdit d’exposer un enfant de moins de trois ans devant un écran (smartphone, tablette, ordinateur, télévision) compte tenu des risques pour son développement. »
Cette modification a un poids juridique et symbolique fort : on passe d’un simple avis de précaution à une interdiction formelle. Autrement dit, ce qui relevait de la recommandation devient une obligation légale.
Du rapport à l’arrêté : 15 mois de maturation politique…
Mais si l’interdiction est désormais actée, elle n’est pas tombée du ciel. Il aura fallu plus d’un an entre la remise du rapport de la commission “Enfants et écrans à la recherche du temps perdu”, en avril 2024, et la parution de cet arrêté. Ce délai témoigne de la complexité du sujet et des arbitrages politiques qui ont été probablement nécessaires pour aboutir à une décision aussi structurante.
Ce rapport de plus de 130 pages — co-présidé par le Dr Servane Mouton, neurologue pédiatrique, et le Pr Amine Benyamina, psychiatre addictologue — formulait 29 recommandations. Parmi celles-ci figurait très clairement la nécessité d’interdire les écrans dans les lieux accueillant de très jeunes enfants. Il était notamment rappelé que l’exposition passive aux écrans, même en arrière-plan, perturbe le développement du langage, de l’attention, et freine les interactions fondamentales entre l’adulte et l’enfant.
Sur le plan scientifique, les arguments sont aujourd’hui solides. Le cerveau du nourrisson et du jeune enfant n’est pas fait pour traiter des flux numériques rapides, impersonnels et désynchronisés. Les besoins essentiels à cet âge sont l’attention, la présence, la parole, la régularité. Pas les écrans.
Entre principe et réalité du terrain…
Mais il faut aussi être lucide : cette interdiction sera-t-elle réellement applicable partout, dans toutes les structures, de façon uniforme ?
Dans de nombreux établissements, les équipes font face à des conditions exigeantes : effectifs parfois contraints, encadrement multiple, rythme soutenu… L’usage occasionnel d’un écran a pu, dans certaines situations, servir de solution transitoire pour apaiser une tension, recentrer un groupe ou gagner quelques instants de répit. Il ne s’agit pas de juger ces pratiques, mais de rappeler qu’une interdiction, si elle n’est pas accompagnée d’alternatives concrètes et de moyens supplémentaires, risque d’être difficile à mettre en œuvre. Elle pourrait susciter de l’incompréhension, voire un sentiment d’injonction déconnectée du terrain.
Par ailleurs, même si l’interdiction est bien respectée dans les lieux d’accueil, le risque persiste si l’enfant est exposé aux écrans dans son environnement familial. C’est pourquoi cette mesure réglementaire doit s’intégrer dans un ensemble plus large d’actions coordonnées, associant aussi bien les parents que les professionnels.
Pour aller dans ce sens, la Caisse nationale de l’Assurance Maladie adressera un courrier d’information à toutes les familles ayant un enfant de moins de 3 ans, rappelant l’interdiction en crèche mais aussi les recommandations nationales d’usage des écrans à la maison :
• Avant 3 ans : aucun écran – même pas en fond sonore
• Entre 3 et 6 ans : très occasionnellement, avec un adulte, pour des contenus adaptés
• À tout âge : jamais d’écran pendant les repas, avant de dormir, ou pour calmer un enfant
Enfin, cette décision pourrait bien n’être qu’un début. Le rapport remis au gouvernement comportait d’autres recommandations fortes : réguler davantage les plateformes, développer l’éducation au numérique dès le plus jeune âge, soutenir les familles, améliorer la formation des professionnels de santé. La plupart de ces recommandations sont encore en attente d’être mises en œuvre.
Ce texte d’interdiction est donc une bonne nouvelle, mais il doit s’inscrire dans une politique globale de santé publique. Interdire, oui. Accompagner, c’est encore mieux.
Références :
- Le site officiel du Gouvernement – Les écrans interdits dans les lieux d’accueil pour jeunes enfants
>> Lien - Arrêté du 27 juin 2025 modifiant la charte nationale pour l’accueil du jeune enfant
>> Lien - Rapport de la commission d’experts sur l’impact de l’exposition des jeunes aux écrans – Avril 2024
>> Téléchargement du rapport (PDF 1,8 Mo)