Jamais une génération n’aura passé autant de temps devant les écrans que celle qui grandit aujourd’hui. Smartphones, tablettes, ordinateurs, consoles ou télévision occupent une place centrale dans la vie quotidienne des enfants et des adolescents. Cette omniprésence du numérique a profondément transformé leurs loisirs, leurs apprentissages, mais aussi leurs rythmes de vie : coucher plus tardif, sommeil plus court, baisse de l’activité physique… Depuis plusieurs années, de nombreuses études ont alerté sur les conséquences cognitives et psychologiques de cette surexposition : troubles de l’attention, fatigue, irritabilité ou isolement social. Mais un autre domaine, plus silencieux, attire désormais l’attention des chercheurs : l’impact du temps d’écran sur la santé physique, et notamment sur le cœur et le métabolisme.

Plusieurs travaux suggèrent que les effets d’un mode de vie trop sédentaire, associé à un excès d’écrans, se manifesteraient dès l’enfance par une modification de certains marqueurs biologiques liés au risque cardiovasculaire. Jusqu’ici, ces hypothèses reposaient surtout sur des études partielles ou transversales. Mais une publication récente du Journal of the American Heart Association (février 2025) vient changer la donne : elle démontre, sur plus d’un millier d’enfants et d’adolescents, que le temps d’écran quotidien est déjà associé à une hausse mesurable du risque cardiométabolique. Conduite par une équipe danoise de l’Université de Copenhague, cette étude s’appuie sur un suivi de longue durée et des mesures biologiques très précises. Elle apporte un nouvel éclairage : les effets des écrans ne se limitent pas au cerveau.
Le principe de l’étude
L’étude s’appuie sur les programmes COPSAC2000 et COPSAC2010 (Copenhagen Prospective Studies on Asthma in Childhood), deux cohortes mères-enfants suivies de façon prospective depuis la naissance.
– COPSAC2010 comprend environ 700 enfants issus de la population générale, suivis de la naissance jusqu’à 10 ans, avec 14 visites cliniques au total.
– COPSAC2000 regroupe 411 enfants nés de mères asthmatiques, suivis jusqu’à 18 ans, avec 19 visites médicales.
Ce choix de mères asthmatiques n’est pas lié à la question des écrans : il correspond au but initial du projet COPSAC, qui visait à comprendre comment l’environnement et les facteurs précoces influencent le développement de l’asthme chez l’enfant. Ce contexte particulier aurait pu introduire un biais, mais les chercheurs ont répliqué l’étude dans la cohorte COPSAC2010, issue cette fois de la population générale. Le fait d’obtenir les mêmes résultats dans les deux cohortes renforce donc la validité des conclusions et confirme que le lien observé entre temps d’écran et santé métabolique n’est pas spécifique aux enfants d’un environnement à risque allergique.
Les chercheurs ont recueilli de très nombreuses données :
– Le temps d’écran (déclaré par les parents ou les adolescents eux-mêmes),
– Des mesures cardiométaboliques (tour de taille, tension artérielle, cholestérol HDL, triglycérides, glycémie, marqueurs d’inflammation, etc.),
– Des mesures objectives de sommeil et d’activité physique grâce à un accéléromètre porté pendant 14 jours,
– Des analyses sanguines
Ces enfants ont donc été suivis sur plusieurs années de 6 à 10 ans dans la première cohorte et jusqu’à 18 ans dans la seconde, permettant d’observer comment le lien entre écrans et santé évolue avec l’âge.
Objectif de l’étude
Les chercheurs voulaient savoir si le temps passé devant un écran était associé à une augmentation du risque cardiométabolique, c’est-à-dire d’un ensemble de facteurs annonciateurs de maladies cardiovasculaires :
– Un tour de taille plus élevé,
– Une tension artérielle augmentée,
– Un “bon” cholestérol (HDL) plus bas,
– Des triglycérides et une glycémie plus élevés.
Ils ont également examiné si des comportements de vie comme le sommeil, l’activité physique ou l’alimentation pouvaient atténuer ou renforcer cette relation.
Les biais possibles
Même si l’étude est solide, elle n’est pas parfaite : Le temps d’écran est déclaré par les familles, donc probablement sous-estimé. L’étude est observationnelle : elle montre une association, pas une causalité directe. L’alimentation est auto-déclarée, avec les limites que cela implique. Enfin, les données viennent uniquement du Danemark, ce qui limite la généralisation à d’autres contextes culturels.
Les principaux résultats
Chaque heure supplémentaire d’écran par jour est associée à une augmentation mesurable du risque cardiométabolique, aussi bien chez les enfants (β = 0,08) que chez les adolescents (β = 0,13).
Le coefficient β représente la “force du lien” entre deux variables. Ici, un β positif de 0,13 signifie que pour chaque heure d’écran supplémentaire, le score de risque métabolique augmente légèrement. Ce n’est pas un changement visible individuellement, mais à l’échelle d’une population entière, cela traduit une tendance réelle et préoccupante.
À 18 ans, les jeunes passant plus de 6 heures par jour devant un écran présentent un profil métabolique plus défavorable : tour de taille plus large, tension plus élevée, HDL (“bon cholestérol”) plus bas, triglycérides plus élevés.
Les chercheurs ont également calculé un score prédictif de risque cardiovasculaire inspiré d’un modèle statistique développé à partir de la UK Biobank, une immense base de données britannique regroupant plus de 500 000 adultes suivis sur le long terme. Ce modèle, validé scientifiquement, permet d’estimer la probabilité de développer une maladie cardiovasculaire dans les dix prochaines années à partir de marqueurs biologiques précis (graisses, lipides, protéines, glucose, inflammation, etc.). Dans cette étude, les scientifiques ont appliqué ce modèle adulte aux adolescents danois, en l’adaptant à leur âge et à leur sexe.
Résultat : plus le temps d’écran quotidien était élevé, plus ce score de risque prédictif augmentait.
En d’autres termes, les adolescents les plus connectés présentaient déjà un profil métabolique comparable à celui d’adultes présentant un risque cardiovasculaire plus élevé. Cela ne signifie pas qu’ils développeront forcément une maladie cardiaque, mais que leur organisme montre déjà les signes précoces d’un déséquilibre métabolique susceptible de s’aggraver à l’âge adulte si les habitudes de vie ne changent pas.
Le sommeil est un facteur clé : moins un jeune dort, plus la corrélation entre le temps d’écran et les risques métaboliques est forte.
Conclusion
Cette étude démontre que l’impact des écrans se mesure biologiquement, dès l’enfance. Elle montre que le temps d’écran n’est pas anodin. Il influence des marqueurs biologiques bien avant que des symptômes visibles n’apparaissent. Le manque de sommeil, en particulier le coucher tardif lié aux écrans, semble amplifier cet effet. Les auteurs insistent donc sur l’importance d’une hygiène numérique globale : limiter le temps d’écran, favoriser le sommeil et maintenir une activité physique régulière. Les écrans ne rendent pas “malade” en soi, mais ils participent à un déséquilibre métabolique silencieux un terrain propice aux maladies cardiovasculaires futures, surtout si le sommeil est sacrifié. En clair : prendre soin de son cœur, c’est aussi apprendre à débrancher.
Références
Horner D, Jahn M, Bønnelykke K, et al. Screen Time Is Associated With Cardiometabolic and Cardiovascular Disease Risk in Childhood and Adolescence. J Am Heart Assoc. 2025 19;14(16):e041486.
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