Les écrans font désormais partie intégrante du quotidien des enfants et des adolescents. Jeux vidéo, réseaux sociaux, séries ou encore YouTube : les heures passées devant les écrans s’accumulent, souvent au détriment du sommeil. Mais que se passe-t-il vraiment dans le cerveau des jeunes lorsque le temps d’écran augmente ? Une étude récente publiée dans JAMA Pediatrics apporte un éclairage inédit : elle explore le rôle du sommeil et des connexions cérébrales (appelées « substance blanche ») dans le lien entre usage des écrans et symptômes dépressifs au début de l’adolescence.

Pourquoi cette étude ?
Le temps passé devant les écrans est devenu un sujet de préoccupation majeur, surtout chez les enfants et les adolescents. Beaucoup de chercheurs s’interrogent pour savoir si ce temps d’écran peut-il réellement avoir un impact sur la santé mentale, en particulier la dépression ? Et si oui, par quels mécanismes ?
Une équipe américaine a voulu explorer cette question en se concentrant sur deux pistes : le sommeil et la substance blanche du cerveau (des fibres qui permettent aux différentes régions cérébrales de communiquer entre elles).
Comment ont-ils fait ?
Les chercheurs se sont appuyés sur l’Adolescent Brain Cognitive Development Study (ABCD) qui est une cohorte longitudinale financée par les National Institutes of Health (NIH) (11 800 enfants inclus à 9–10 ans, suivis sur ≥ 10 ans, dans 21 sites US). Elle collecte de très nombreuses données : imagerie (IRM structurelle, diffusion, fMRI), cognition, sommeil, santé mentale, environnement familial/scolaire, génétique/épigénétique, consommations)
Dans cet article, les chercheurs ont étudié 976 enfants, évalués d’abord à l’âge de 9-10 ans (fin de l’enfance), puis à 11-13 ans (début adolescence).
Ils ont mesuré différents aspects :
• Le temps d’écran : un questionnaire auto-déclaré rempli par les enfants.
• Le sommeil : grâce au Munich Chronotype Questionnaire (MCTQ), un outil validé qui permet de savoir à quelles heures les enfants dorment, combien de temps, et s’il existe un décalage entre la semaine et le week-end.
• Les symptômes dépressifs : à l’aide du Child Behavior Checklist (CBCL), un questionnaire rempli par les parents, largement utilisé en psychologie de l’enfant pour repérer des signes d’anxiété, de tristesse ou de repli social.
• Le cerveau : les enfants ont passé une IRM spécialisée (IRM de diffusion, technique NODDI) qui permet d’étudier la microstructure de la substance blanche. Les chercheurs se sont intéressés à trois « autoroutes » cérébrales déjà associées à la dépression : le cingulum (régulation des émotions), le forceps minor (connexion des lobes frontaux) et le faisceau unciné (liaison entre amygdale et cortex frontal).
Qu’ont-ils trouvé ?
Les résultats montrent que plus les enfants passaient de temps devant les écrans à 9-10 ans plus ils avaient de symptômes dépressifs à 11-13 ans. Une partie de ce lien s’explique par un sommeil plus court.
Les résultats de cette étude montrent que plus de temps d’écran à la fin de l’enfance était associé à plus de symptômes dépressifs, potentiellement en raison d’un sommeil plus court et d’une organisation plus mauvaise de la substance blanche durant le début de l’adolescence. Ces résultats soulignent l’importance de promouvoir des habitudes saines et d’équilibrer le temps d’écran avec un sommeil adéquat.
Ce qu’il faut retenir
Le message des auteurs est clair : le sommeil est un levier de prévention. Contrairement à la structure cérébrale qui est difficile à modifier directement, la durée du sommeil est un comportement modulable. Favoriser un bon équilibre entre écrans, sommeil et activités hors ligne apparaît donc essentiel pour protéger la santé mentale des jeunes.
Notre analyse critique
Cette étude est importante car elle s’appuie sur une cohorte solide, un suivi longitudinal et combine des questionnaires validés et une neuro-imagerie avancée.
Mais il faut garder en tête plusieurs points :
• Corrélation ≠ causalité : même avec un suivi dans le temps, on ne peut pas affirmer que les écrans « causent » la dépression. D’autres facteurs (contexte familial, environnement scolaire, stress, personnalité) peuvent aussi jouer un rôle.
• Questionnaires : le sommeil est mesuré par auto-déclaration et la dépression par les parents. Ces outils sont utiles mais ne capturent pas toute la complexité de l’expérience vécue par l’adolescent.
• IRM : les changements observés dans la substance blanche ne sont pas spécifiques à la dépression. On retrouve ces altérations dans d’autres troubles psychiques et même au cours du développement normal.
Le vrai enseignement est que le sommeil joue un rôle central. Les écrans tardifs, surtout le soir, réduisent la durée et la qualité du sommeil, et ce manque de sommeil fragilise le cerveau en pleine maturation. Pour les parents et jeunes : limiter les écrans avant le coucher, garder des rythmes réguliers et préserver un temps de sommeil suffisant reste une stratégie simple et efficace pour mieux protéger la santé mentale des ados.
Références :
- Lima Santos JP, Soehner AM, Biernesser CL, et al. Role of Sleep and White Matter in the Link Between Screen Time and Depression in Childhood and Early Adolescence. JAMA Pediatr. 2025 Sep 1;179(9):1000-1008
>>> Lien - Karcher, N.R., Barch, D.M. The ABCD study: understanding the development of risk for mental and physical health outcomes. Neuropsychopharmacol. 46, 131–142 (2021).
>>> Téléchargement Pdf (881 Ko) - Juda M, Vetter C, Roenneberg T. The Munich ChronoType Questionnaire for Shift-Workers (MCTQShift). J Biol Rhythms. 2013 Apr;28(2):130-40.
>>> Téléchargement Pdf (782 Ko) - Jernigan TL, Brown SA, Dowling GJ. The Adolescent Brain Cognitive Development Study. J Res Adolesc. 2018 Mar;28(1):154-156.
>>> Téléchargement Pdf (41 Ko)