Le cyberharcèlement est une forme de harcèlement qui utilise les technologies numériques pour perpétrer des actes agressifs et répétés à l’encontre d’une personne dans le but de l’intimider, de l’humilier ou de la menacer. Ce phénomène, en constante augmentation, suscite des inquiétudes majeures chez les parents, les enseignants et les adolescents car il transforme les écrans en vecteurs de violences invisibles mais profondément destructrices.

Définition et formes de cyberharcèlement
Le cyberharcèlement englobe diverses pratiques malveillantes réalisées via des moyens de communication électroniques. Il peut s’agir d’intimidations, d’insultes, de moqueries ou de menaces en ligne visant à dégrader l’estime de soi de la victime. La diffusion de rumeurs est également courante, propageant des informations fausses ou trompeuses pour nuire à la réputation d’une personne. L’usurpation d’identité constitue une autre forme où le harceleur accède sans autorisation à la messagerie ou au profil de la victime afin de se faire passer pour elle et d’envoyer des messages embarrassants ou insultants à d’autres individus.
Le “revenge porn” est une pratique particulièrement pernicieuse, consistant à diffuser sans consentement, des images ou vidéos à caractère sexuel de la victime, souvent dans un but de vengeance. L’essor de l’intelligence artificielle (IA) a considérablement amplifié ce phénomène par le biais des deepfakes. Ces technologies permettent de créer des images ou des vidéos hyperréalistes où le visage d’une personne est superposé sur un corps dans des situations intimes sans son consentement. Cette évolution technologique facilite la production et la diffusion de contenus explicites non consensuels exacerbant les atteintes à la vie privée et les traumatismes des victimes.
Des incidents récents illustrent la gravité de cette menace. En janvier 2024, des images explicites générées par IA de la chanteuse américaine Taylor Swift ont circulé massivement sur les réseaux sociaux, notamment sur X (anciennement Twitter). Un tweet contenant ces images a été vu plus de 45 millions de fois avant d’être supprimé. Cette affaire a suscité une indignation généralisée et a relancé le débat sur la nécessité de légiférer contre la pornographie deepfake. Face à cette problématique croissante des mesures législatives ont été proposées.
Aux États-Unis, le “Take It Down Act” a été introduit en juillet 2024. Ce projet de loi visait à criminaliser la publication d’images deepfake sans le consentement des personnes concernées et impose aux plateformes de médias sociaux de mettre en place des procédures pour supprimer rapidement ces contenus. Par ailleurs, la prolifération de ces contenus a mis en lumière les lacunes des cadres juridiques actuels. Bien que de nombreux États aient adopté des lois contre le “revenge porn”, toutes ne couvrent pas explicitement les contenus générés par IA. Cette situation souligne l’urgence d’adapter les législations pour protéger efficacement les individus contre ces nouvelles formes d’abus numériques.
La création de pages ou de groupes en ligne dédiés à la moquerie ou à l’humiliation d’une personne est une forme particulièrement pernicieuse de cyberharcèlement. Ces espaces numériques sont spécifiquement conçus pour diffuser des contenus dégradants, qu’il s’agisse de commentaires offensants, de photos compromettantes ou de vidéos humiliantes visant à ridiculiser ou à porter atteinte à la réputation de la victime. Cette pratique est facilitée par l’anonymat relatif offert par Internet, encourageant certains individus ou groupes à propager des contenus nuisibles sans crainte immédiate de répercussions. Un exemple marquant de cette tendance est le subreddit “FatPeopleHate” sur la plateforme Reddit. Ce groupe, qui comptait environ 151 000 abonnés avant sa suppression en juin 2015 était dédié à la publication de photos de personnes en surpoids accompagnées de commentaires moqueurs et dénigrants. La culture de la honte corporelle y était omniprésente contribuant à la stigmatisation et à l’humiliation publique des individus ciblés. Face aux critiques croissantes et aux violations des politiques de Reddit concernant le harcèlement, le subreddit a été fermé par les administrateurs de la plateforme.
Mécanismes psychologiques sous-jacents
Plusieurs facteurs psychologiques expliquent la prévalence du cyberharcèlement. En effet, l’usage du numérique et des réseaux sociaux favorisent ces pratiques car le harceleur est derrière un écran comme s’il agissait derrière un masque.
Il apparait ainsi un effet de désinhibition. L’anonymat et la distance physique peuvent ainsi encourager ces comportements et peut conduire à des propos plus agressifs ou offensants, les auteurs se sentant protégés par l’écran. Cet effet de désinhibition décrit dés 2004 a été repris dans plusieurs études francophones qui ont confirmé que l’anonymat, l’invisibilité, l’asynchronie et l’absence de hiérarchie en ligne favorisent l’expression de comportements transgressifs. Cette désinhibition facilitant des propos racistes, sexistes ou haineux car les harceleurs ne perçoivent pas directement les réactions émotionnelles de leur cible. Les réseaux sociaux agissent comme catalyseurs de comportements violents en raison de cette barrière émotionnelle rompue.
L’effet de meute également appelé “effet de horde” se manifeste lorsque des individus adoptent des comportements agressifs en groupe renforçant le comportement initial. Sur Internet, cet effet peut être amplifié par la viralité des contenus et la facilité avec laquelle les utilisateurs peuvent se rallier à une cause ou à une attaque collective. Une agression en ligne prend de l’ampleur lorsque d’autres utilisateurs rejoignent l’attaque initiale, ce que la littérature appelle aussi « cybermobbing« .
C’est le même principe pour les réseaux sociaux qui, à travers leurs algorithmes, favorisent la diffusion de contenus violents ou haineux. Plus un propos choque ou divise, plus il suscite de réactions – likes, commentaires, partages – et plus il est mis en avant. Ce mécanisme crée des regroupements de contenus ou d’utilisateurs autour de la haine, qu’on appelle « clusters de haine ». En devenant visibles et massivement relayés, ces messages donnent l’impression d’être socialement acceptés, voire approuvés, ce qui contribue à banaliser l’agression et à la rendre légitime aux yeux de certains : créant une forme de légitimation collective de l’agression.
Enfin, la déshumanisation de la victime joue un rôle crucial . En effet, l’absence de contact visuel et de réactions immédiates réduit l’empathie envers la victime, facilitant ainsi des comportements nuisibles. Les agresseurs perçoivent moins les conséquences de leurs actes, ce qui peut les encourager à poursuivre ou intensifier le harcèlement. Ce phénomène est également identifié comme un “éloignement affectif” propice à des comportements extrêmes : Ce n’est pas une personne, c’est un pseudo... La distance numérique, l’absence de visage ou de réaction émotionnelle rendent la victime abstraite.
Cyberharcèlement et ses conséquences sur la santé mentale
Les recherches convergent pour démontrer les impacts majeurs sur la santé mentale, particulièrement chez les jeunes, mais également chez les adultes . Les jeunes victimes présentent souvent des symptômes tels que la dépression, l’anxiété généralisée, des troubles du sommeil, et des idées suicidaires. Ils présentent une souffrance morale intense avec désespoir. Ainsi, il existe un lien démontré entre cyberharcèlement et risque suicidaire, plaidant pour des stratégies de prévention adaptées en pédiatrie. La personne harcelée présente alors une perte d’estime de soi et il existe un retrait social des adolescents harcelés, qui évitent les interactions scolaires et numériques pour fuir la violence.
Un véritable état de stress post-traumatique (TSPT) apparaît chez la personne harcelée associant une hypervigilance, des flashbacks ou des comportements d’évitement.
Les signes à repérer
Il est crucial de détecter les signes potentiels de cyberharcèlement pour intervenir rapidement. Les changements de comportement comme un repli sur soi, une irritabilité accrue ou une nervosité inhabituelle sont souvent les éléments qui apparaissent en premier. Un évitement scolaire est souvent associé dans le cas d’un jeune scolarisé qui présente alors un désintérêt soudain pour l’école et des demandes fréquentes pour rester à la maison. Il peut exister dans ce contexte une baisse significative des résultats scolaires.
Des troubles du sommeil sont à rechercher comme des difficultés à s’endormir, des réveils nocturnes fréquents ou des cauchemars récurrents. Une anxiété et un stress témoigneront d’un état de tension permanente pouvant évoluer vers une inquiétude excessive ou des crises de panique.
Les moyens d’action
Plusieurs mesures peuvent être prises pour lutter contre le cyberharcèlement :
– Signalement des contenus : utiliser les fonctionnalités intégrées des plateformes pour signaler les contenus inappropriés. En France, la plateforme PHAROS permet de signaler les contenus illicites en ligne.
– Dépôt de plainte : en cas de cyberharcèlement avéré, il est possible de porter plainte auprès des autorités compétentes. Le cyberharcèlement est puni par la loi française, avec des peines pouvant aller jusqu’à 3 ans de prison et 45 000 € d’amende si la victime est mineure.
– Outils de modération et de filtrage : des applications comme Bodyguard offrent une protection en temps réel contre les contenus haineux en ligne.
– Soutien psychologique : des associations telles que e-Enfance proposent une écoute et un accompagnement pour les victimes via le numéro 3018, accessible 7 jours sur 7.
Références :
- Cyberharcèlement (harcèlement sur internet) – service-public – 24 mai 2024
>>> Lien - Cyberviolences – e-enfance.org
>>> Lien - What Is Revenge Porn ? – Time – 4 Mars 2025
>>> Lien - AI deepfakes of Taylor Swift spread on X. Here’s what to know. – Washington Post – 26 janvier 2024
>>> Lien - FatPeopleHate, un «gros» problème pour Reddit – Hugo Prévost – 12 juin 2015
>>> Lien - Shannon R. Muir, Lynne D. Roberts Lorraine P. Sheridan. The portrayal of online shaming in contemporary online news media : A media framing analysis. Computers in Human Behavior Reports. 2021;3:100051
>>> Lien - Discours de haine dans les réseaux socionumériques – Mots – 2021 n°125
>>> PDF (3,3 Mo) - Arsène M, Raynaud JP. Cyberbullying (ou cyber harcèlement) et psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent : état actuel des connaissances. Neuropsychiatrie de l’Enfance et de l’Adolescence. 2014;62:249–256.
>>> Lien - Catherine N. Harcèlement scolaire : conséquences et traitements. Le Journal des psychologues. 2020;382(10):31-7.
>>> Lien - Blaya C. Cyberviolence, Cyberharcèlement et Cyberhaine : Conséquences et Facteurs de Protection. Le Journal des psychologues. 2020;382(10),38-43.
>>> Lien - Plateforme d’harmonisation, d’analyse, de recoupement et d’orientation des signalements (PHAROS)
>>> Lien - Bodyguard : une application pour se protéger du cyberharcèlement – Geekjunior – 2020
>>> Lien