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Binge-Watching

Par le MédecinGeek
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Les séries ont envahi nos soirées, nos week-ends, parfois même nos nuits. Entre Netflix®, Disney+®, Amazon Prime® et consorts, il n’a jamais été aussi simple d’enchaîner les épisodes à la vitesse d’un clic. Une fois confortablement installé, il suffit de se laisser porter : l’épisode suivant démarre tout seul, la tension monte avec chaque cliffhanger*, et le fameux “allez, encore un dernier épisode” finit souvent en “mince, il est déjà deux heures du matin”. C’est ce qu’on appelle le binge-watching. Mais derrière ce loisir apparemment anodin, la science commence à mieux comprendre ce qui se joue vraiment. Entre plaisir assumé et usage excessif, où placer la frontière ? Est-ce une véritable addiction ? Pourquoi certains ont du mal à s’arrêter tandis que d’autres consomment sans conséquence ? C’est ce que nous allons explorer.

*Cliffhanger : c’est l’art cruel de couper juste avant le moment qu’on attendait, pour être sûr qu’on ne puisse pas résister à l’envie de lancer l’épisode suivant...

Qu’est-ce que le binge-watching ?

Le binge-watching, ou visionnage en rafale, désigne tout simplement le fait de regarder plusieurs épisodes d’une série à la suite, souvent en une seule session prolongée. Netflix®, qui a largement popularisé le terme, parlait dès 2013 du fait de regarder au moins deux épisodes d’affilée. Très vite, les plateformes ont construit leur modèle sur ce comportement : proposer les saisons entières dès leur sortie, automatiser le lancement de l’épisode suivant, calibrer la durée des épisodes pour maximiser l’envie de continuer.

Avec la pandémie de Covid-19, le binge-watching a connu un véritable boom car on estimait en 2020 que 73% des adultes avaient binge-watché cette année-là. Chez les étudiants, on avait atteint parfois 90%. Pour beaucoup, c’est un loisir agréable et sans conséquence. Mais pour d’autres, l’histoire est plus complexe.

Est-ce une addiction à proprement parler ? En réalité… non (mais ce n’est pas si simple).

Sur le plan médical, le binge-watching n’est pas officiellement reconnu comme une addiction, ni par le DSM-5 ni par la CIM-11 qui sont les grandes classifications psychiatriques internationales. On ne parle donc pas de “trouble du binge-watching” comme on parlerait du trouble de l’usage de substances ou du trouble du jeu vidéo.

Pourquoi ? Parce que la majorité des binge-watchers restent capables de contrôler leur consommation. Pour eux, regarder plusieurs épisodes est un plaisir, une détente, une façon de partager des moments en famille ou de se plonger dans une histoire captivante, comme on le ferait avec un bon roman. Pas de perte de contrôle, pas de souffrance majeure, pas de conséquences importantes sur leur vie.

Mais il existe une minorité de personnes pour qui le binge-watching devient problématique. Ici, on retrouve des mécanismes qui s’apparentent aux addictions comportementales : perte de contrôle, difficulté à s’arrêter, consommation qui grignote peu à peu le sommeil, les relations sociales, le travail ou les études, et parfois une forme de détresse psychologique sous-jacente. Ces cas “problématiques” intéressent de plus en plus la recherche.

Quels mécanismes favorisent l’usage excessif ?

La science identifie aujourd’hui plusieurs facteurs qui peuvent conduire certaines personnes à glisser vers un binge-watching excessif.

D’abord, il y a la régulation émotionnelle. De nombreuses études ont montré que certaines personnes utilisent les séries comme un moyen de gérer le stress, l’anxiété, la déprime ou la solitude. Face à un mal-être, l’univers des séries offre un cocon rassurant, une immersion narrative qui permet d’oublier temporairement les soucis du quotidien. Ce “coping émotionnel**” est l’un des moteurs les plus fréquents des formes excessives de binge-watching.

Vient ensuite la tolérance à la gratification différée. Le binge-watching favorise une gratification immédiate : l’épisode suivant est là, disponible, sans effort. Chez les personnes impulsives, cette disponibilité permanente est un piège. Pourquoi attendre demain, quand l’épisode suivant arrive en 5 secondes ?

Les plateformes de streaming exploitent ces mécanismes : elles organisent la disponibilité des épisodes, structurent les cliffhangers pour maintenir le suspense, optimisent l’expérience utilisateur pour maximiser la durée de visionnage. On parle parfois de “design persuasif***”, où les technologies numériques encouragent sans cesse à continuer.

Les troubles du sommeil sont aussi très fréquemment associés au binge-watching intensif. Les longues sessions tardives repoussent l’endormissement, créent une dette de sommeil chronique et, à long terme, peuvent impacter l’humeur, la concentration et la qualité de vie.

Enfin, des facteurs sociaux et personnels s’ajoutent : isolement, anxiété sociale, difficultés relationnelles, mais aussi parfois simple mode de vie étudiant où le temps libre est plus malléable. Les jeunes adultes sont d’ailleurs les plus gros consommateurs de binge-watching intensif, même si la pratique touche tous les âges.

**Coping émotionnel : au lieu de traiter le problème, on détourne temporairement son attention avec une activité agréable. Le binge-watching devient parfois une sorte de pansement émotionnel.

***Design persuasif : Le design persuasif, c’est quand votre appli de streaming fait tout pour que ce soit plus fatigant d’arrêter que de continuer. Résultat : votre cerveau a toujours une bonne excuse pour cliquer sur le prochain épisode.

Le paradoxe social du binge-watching

Le binge-watching est à la fois une activité souvent solitaire, et en même temps très sociale. D’un côté, on peut passer des heures seul devant son écran, s’immerger dans des mondes fictifs et développer des “relations parasociales” avec les personnages. De l’autre, ces mêmes séries deviennent des sujets de conversations partagés : “As-tu vu la dernière saison ?”, “On en parle demain à la pause-café ?”. Chez certains jeunes, le binge-watching est même un outil d’intégration sociale. Être à jour sur les séries du moment permet de participer aux discussions de groupe, d’éviter le fameux “FOMO” (fear of missing out, la peur de rater quelque chose).

Comment évaluer le binge-watching problématique ?

La recherche a développé plusieurs outils pour mieux cerner le phénomène. Ils ne servent pas à poser un diagnostic médical formel, mais permettent d’évaluer l’intensité et les mécanismes sous-jacents de la pratique.

Le BWESQ (Binge-Watching Engagement and Symptoms Questionnaire) est l’un des plus utilisés. Il explore non seulement la quantité de visionnage, mais surtout les symptômes émotionnels et comportementaux associés : perte de contrôle, stratégies d’évitement émotionnel, impact sur la vie quotidienne.

Pour les adolescents, on dispose du STREDIS-A (et de sa version parentale STREDIS-P) qui s’appuient sur des critères inspirés du gaming disorder reconnu dans la CIM-11.

D’autres questionnaires, comme le PSWS ou le BWAQ, permettent des dépistages plus rapides dans des contextes épidémiologiques ou en population générale.

L’essentiel, dans la vraie vie, reste souvent l’observation de l’impact fonctionnel : est-ce que le binge-watching perturbe le sommeil, les études, les relations sociales ? Est-ce qu’il devient une échappatoire systématique à la détresse psychologique ? Si oui, alors il mérite d’être pris en compte.

Peut-on traiter le binge-watching excessif ?

Bonne nouvelle : oui. Et souvent, la solution passe d’abord par des mesures simples d’autorégulation.

Apprendre à fixer des limites de visionnage (nombre d’épisodes, heure de coupure), désactiver l’autoplay, changer les habitudes (ne pas regarder dans le lit), instaurer des rituels alternatifs (lecture, relaxation) peuvent déjà beaucoup aider.

Lorsque le binge-watching s’inscrit dans un mal-être plus global (anxiété, dépression, isolement social), un accompagnement psychologique peut s’avérer utile. Les thérapies de régulation émotionnelle, les approches cognitivo-comportementales, voire la pleine conscience, sont des outils efficaces pour apprendre à mieux gérer ses émotions autrement que par le refuge des séries.

L’idée n’est pas de diaboliser les séries, mais de retrouver un usage équilibré, où le plaisir de visionner ne devient pas une fuite systématique face aux difficultés.

Pour conclure

Le binge-watching n’est ni un vice, ni une épidémie, ni un fléau numérique. C’est un loisir moderne, ancré dans notre mode de vie connecté. Mais comme souvent avec les outils numériques, la frontière entre plaisir maîtrisé et consommation excessive peut devenir floue. Savoir reconnaître les signes d’un usage problématique permet de préserver l’essentiel : le plaisir de l’histoire, sans sacrifier son sommeil, ses études ou ses relations.


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